Ce texte, écrit et présenté par Paula Balso dans le cadre de l’atelier de travail philosophique Archégalité le 02/04/2022, propose un état des lieux rigoureux, issu d’une longue expérience de professeur du secondaire, de l’état de l’école publique aujourd’hui.

 

L’école publique est morte

 

A la demande de Julien, dans le prolongement de son travail d’identification des Appareils Idéologiques d’Etat, je vais essayer de montrer comment l’école publique – une institution fondamentale de la République – participe et organise la désorientation d’une part et travaille d’autre part à sa disparition, à sa destruction en tant qu’institution en charge de transmettre des savoirs aux élèves.

 

Quatre points seront examinés :

 

  • Le renoncement progressif aux savoirs au profit des compétences, des savoir-faire et des savoir être, de l’évaluation normative
  • L’école, un outil de formatage aux valeurs de la République et de sélection des élèves
  • L’école organise la résignation et le défaitisme, aggrave la désorientation. Le travail, la vie des gens, tout doit s’adapter au chaos.
  • Une proposition :

Reconstituer un espace de ce qu’il s’agit d’enseigner en examinant ce qui peut être au fondement des enseignements, en pensée, pour s’orienter et devenir adulte.

 

Préambule

Ce qui se joue à l’école, à travers les réformes successives, comme du reste à l’hôpital et dans les services publics, c’est le désengagement de l’État, l’abandon du bien commun (au nom du libéralisme et avec le moyen de la privatisation).  Les réformes, à l’école, témoignent de la mise en œuvre d’une idéologie nouvelle dont la finalité est la gestion de la désorientation et le renoncement à la transmission de connaissances fondamentales, universelles. Le programme annoncé par Macron s’il est réélu en affirme violemment le caractère libéral.

Il est question que le ministère de l’éducation nationale fusionne avec celui de la Culture et du ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, que le CAPES (concours de recrutement des enseignants) soit supprimé ainsi que le statut de fonctionnaire pour les nouveaux recrutés. Depuis deux ans, le Capes s’est déjà réduit, par exemple, à des épreuves qui vérifient – plus que les savoirs- la capacité du candidat à être un bon et loyal serviteur de la République. Que le futur enseignant maîtrise sa discipline n’est plus à l’ordre du jour.

Les établissements pourront recruter (cela s’expérimente déjà depuis quelques années à travers notamment les internats d’excellence) leurs enseignants, en refuser certains si leur motivation ou leurs propositions pédagogiques ne sont pas jugées probantes par le chef d’établissement.

Suppression d’un concours national, suppression du recrutement national, recrutement au mérite, sur dossier, sur projet, salaire au mérite (assurer davantage d’heures, remplacer les collègues absents), développement de la polyvalence, évaluation des professeurs au travers des résultats de leurs élèves.

Le privé, par ailleurs, est en pleine expansion, dans ses dotations horaires en particulier (les heures pour assurer les cours) ainsi que le marché des cours particuliers et celui des coachs qui, moyennant 400 euros[1], proposent aux familles les meilleures stratégies à adopter au lycée pour la sélection de Parcoursup.

Le Plan Local d’Evaluation mis en place en 2021 dans tous les lycées s’inscrit dans cette logique de destruction d’une institution publique et nationale.

  • Mettre fin à une école publique à échelle nationale et établir une concurrence entre les établissements. L’école est sous le joug de la privatisation, à très court terme. (cf. les éléments sur le recrutement dans le privé qui permet aux enseignants de choisir leur lieu de travail c’est-à-dire de refuser les postes réputés les plus difficiles dans les banlieues en particulier).

A qui seront livrés les élèves dans les quartiers populaires ? Les établissements publics de ces quartiers seront les derniers bastions-garderies du système public. Confiés à des contractuels ou à des vacataires dont le nombre augmente déjà chaque année (flexible, moins payé, sans statut pérenne, sans formation au métier) -> l’école fonctionne comme une entreprise qui tourne avec des sous-traitants.

Tout est bon pour recruter :  annonces d’emploi de professeurs publiées sur Le Bon Coin ou à Pôle emploi, rappel des jeunes retraités, et tout récemment, organisation de « job-dating » dans les académies de Créteil et de Versailles pour faire face au manque de professeurs à la rentrée 2022.

 

I ) Le renoncement progressif aux savoirs au profit des compétences, des savoir – faire et des savoir être, de l’évaluation normative, évaluation tous azimuts

En 1975, le collège unique est mis en place. L’idée est que tous les élèves passent par le cycle du collège, sans orientation précoce en 5ème. Très rapidement cependant, l’école a mis en place des classes spéciales, SEGPA (section enseignement général et professionnel adapté) où se sont retrouvés ceux considérés comme bons à rien, inadaptés au système scolaire ou ayant des handicaps, puis des classes d’Aide et de Soutien pour les élèves les « moins scolaires ».

On met en place des établissements « labellisés » ZEP, ZEP +, REP, PV, Zone violence… qui bénéficient de moyens supplémentaires, de classes moins chargées, de points bonus pour stabiliser les enseignants qui tiennent cinq ans dans ces établissements réputés difficiles. Les professeurs sont encouragés à travailler avec les élèves, à leur apprendre quelque chose. On développe les pédagogies de projet par exemple.

La fin des années 90 marque l’arrivée de l’évaluation tous azimuts qui va de pair avec la fin du socle commun de connaissances qui devient un socle commun de compétences. Il y a aussi un glissement dans les termes, l’accent est mis sur l’éducation plus que sur l’instruction.

L’évaluation est prescrite nationalement, pour le français et les mathématiques à l’entrée en 6ème puis en seconde, et aussi à l’école primaire. Elle se présente sous la forme d’un livret (depuis peu, elle se fait en classe sur ordinateur – elle est minutée pour chaque exercice) : ce qu’elle vérifie et évalue sont des compétences.

Ce bilan est codifié ensuite par des pastilles vertes, oranges et rouges qui correspondent à : acquisition, en cours d’acquisition ou non acquis.

 

Dans les établissements populaires, on cherche avant tout à tenir les élèves. L’idée du travail et de l’effort pour apprendre cède la place à des « pédagogies innovantes », la question du savoir s’amenuise.

Cela se renforce depuis le confinement et l’école à distance avec la « continuité pédagogique », credo du Ministre Blanquer. Les formations sur le numérique proposées aux professeurs, pendant cette période, sont construites sur le « jeu ». Ces exercices forment les élèves à avoir une opinion sur tout (fondée sur des affects, ignorante de la réflexion) sans jamais leur donner les moyens de se constituer une pensée, de développer une curiosité pour l’inconnu…

 

L’évaluation est devenue un outil maître pour la gestion des compétences des élèves, des professeurs, des établissements scolaires[2].  Loin d’être sans effet, on comprend qu’elle permet de faire entrer chacun dans les cases d’une nomenclature. Elle est un outil d’enfermement des élèves, à terme des enseignants.

 

II ) L’école, outil de formatage aux valeurs de la République

Un nouveau tournant a lieu, qui s’accentue sous Blanquer et le gouvernement Macron. Il faut remplacer les connaissances (même si éculées) par de nouveaux contenus idéologiques, au service de compétences évaluées ou certifiées.

Nous sommes dans l’école de la Ré-pu-bli-que, nous formons à ses valeurs qui ont pour noms aujourd’hui : liberté d’expression – laïcité – égalité fille-garçon – écologie – citoyenneté.  L’école se charge donc de former voire formater les élèves mais aussi les enseignants.

En 2015 par exemple, on nous demande d’écrire au tableau « nous sommes Charlie », ceux qui rechignent prennent le risque d’être stigmatisés.

En 2021, après l’assassinat de Samuel Paty, l’Education nationale organise un vaste plan de formation des enseignants à la laïcité et à la liberté d’expression, nous trouvant démunis ou pas assez avertis des dangers de laisser des jeunes filles voilées en classe ou de parler à tort et à travers de la liberté d’expression. Journées de formation obligatoires. Conférence suivie d’exercices pratiques. Le bilan collectif de ces mises en situation (un élève dessine une croix gammée sur sa table, un parent voilé se présente pour accompagner une sortie…) a été qu’il fallait signaler le risque de radicalisation (croix gammée, propos jugés tendancieux) sur la plateforme de signalement et auprès du chef d’établissement et congédier la mère voilée si elle refuse d’enlever son voile. Peu d’enseignants sont réfractaires à l’idée du signalement et au renvoi du parent accompagnateur.

 

Le discours prôné sur l’égalité homme-femme est souvent, à l’école aussi, un discours de répression et de régression.  La question des rapports fille-garçon est essentiellement construite sur la méfiance, la défiance et la prévention. Le Violentomètre distribué, à tous les élèves, l’atteste. A l’initiative de la Région d’Ile de France et conçu par des professeurs, il se présente sous la forme d’une règle à trois couleurs : rouge/orange/vert). Au dos, les couleurs correspondent à des messages d’alerte.

PROFITE /VIOLENCE DIS STOP/ PROTEGE-TOI DEMANDE DE L’AIDE

Dans le vert : des attitudes à respecter

Dans l’orange : alerte méfiance

Dans le rouge : danger

 

Ajoutons également que sur la question de l’égalité à l’Éducation nationale, un professeur référent Égalité est désigné. En ce moment, il appelle à nous évaluer sur cette question à travers un questionnaire émanant de l’académie de Créteil intitulé « Grille d’auto-évaluation sur ses pratiques professionnelles relatives aux questions des relations de genre dans la classe ». Nous devons interroger notre rapport égalitaire envers les garçons et les filles.

Et l’égalité se loge aussi jusque dans le choix des œuvres fait d’abord au regard de la parité homme-femme, (deux femmes, deux hommes de préférence dans le programme de lettres).

Tout bien considéré, l’école n’est vraiment pas un lieu d’émancipation où l’on découvre ce que l’on ne connaît pas mais le lieu d’une bien-pensance consensuelle, qui sous le prétexte de ne choquer personne, enferme chacun dans ce qui constitue son identité et ses barrières, empêchant l’accès à tout Autre.

Loin de développer favorablement l’idée de l’égalité (qu’il faudrait d’ailleurs penser sérieusement) l’école renforce le concept identitaire.

 

Enfin, l’écologie est, elle aussi, un moyen de dressage pour faire de nos élèves de bons citoyens au point qu’en plus des délégués de classe, nous avons maintenant des éco-délégués.

Nous récoltons, avec eux, des capsules en plastique, nous recyclons nos dosettes de café etc.

Depuis la réforme du lycée professionnel, les élèves doivent produire sur un an un « chef d’œuvre » (emprunt aux Compagnons du devoir…). Un des chefs d’œuvre sur lequel travaille une classe professionnelle, c’est « le tri des déchets ».

Il s’est ouvert également un local de recyclage de vêtements (consommer moins et mieux, donner une seconde vie aux vêtements). L’école s’aligne sur ce point sur les initiatives et les incitations des écologistes dans la société.

Adhérer à ces valeurs, c’est ce qui fait le citoyen-serviteur de la République. Les heures renforcées de l’enseignement en EMC (enseignement moral et civique ) ne disent pas autre chose :  respecter autrui, acquérir et partager les valeurs de la République, construire une culture civique. Le code de l’éducation précise, je cite : outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République » (article L 111-1). La formation scolaire favorise l’épanouissement de l’enfant, lui permet d’acquérir une culture, le prépare à la vie professionnelle et à l’exercice de ses responsabilités d’homme ou de femme et de citoyen ou de citoyenne. Elle prépare à l’éducation et à la formation tout au long de la vie. Elle favorise également l’éducation manuelle. Elle développe les connaissances, les compétences et la culture nécessaires à l’exercice de la citoyenneté dans la société contemporaine de l’information et de la communication. (article L111-2 ) Loi modifiée 2019

 

Intermède

 

A l’école, tout le monde trompe tout le monde.

Les maîtres-mots qui accompagnent ce nouveau chantier idéologique sont : l’école de la confiance – l’école inclusive – l’école laïque – la bienveillance – la liberté d’expression.

Il suffit de retourner ces mots circulants par lesquels on qualifie l’école pour être dans le vrai. L’école laïque ne renvoie à aucune laïcité mais à une violente intolérance voire à un intégrisme républicain. On parle de bienveillance alors qu’en réalité c’est une école de la malveillance envers les élèves (on ne recense plus les élèves « phobiques » de l’école, malheureux à l’école). On parle d’école de la confiance alors qu’on a à faire à une école de la méfiance, de la défiance et du mensonge. On parle de liberté d’expression alors qu’elle est confisquée : il faut avoir peur en réalité de dire certaines choses. On parle d’école inclusive alors qu’on est incapable d’accueillir véritablement les élèves qui présentent des troubles ou des handicaps (cf. les conditions de travail et de traitement des AED dans les classes). Dans les faits, l’école inclusive, ce sont des classes à 35 où aucun travail individualisé ne peut avoir lieu, aucune situation particulière ne peut être prise en compte.

 

L’école, outil de sélection des élèves

 

L’élève, un futur citoyen prêt à s’adapter et à accepter, sans rechigner, le chaos du monde, la désorientation, le travail uberisé…

La sélection de plus en plus précoce dans l’année scolaire mise en place par Parcoursup est un outil de gestion très efficace pour trier, orienter, séparer les jeunes de leurs désirs.

Dès la fin janvier, l’année de la terminale, les élèves indiquent leurs vœux sur la plateforme. Sont prises en compte les notes de 1ère et celles du 1er trimestre de Terminale. La plateforme est une machine formidable à ségrégation qui détourne les élèves de leurs désirs et qui leur impose de faire des présupposés sur leur chance d’obtenir quelque chose plutôt que sur leur véritable souhait.  Présupposés largement relayés par les professeurs principaux qui émettent un avis favorable ou défavorable et qui sapent, en amont, le moral des élèves s’ils jugent qu’ils ne « sont pas capables ». Chaque année, ce sont des milliers de lycéens qui ne sont pas affectés à la rentrée et des centaines qui sont affectés sur des parcours qui étaient parmi leurs derniers vœux et qu’ils abandonnent en début d’année (notamment en BTS ou en voie professionnelle). Que deviennent ces élèves ? Y a-t-il un plan B pour eux ? La réponse est négative. Quand un élève n’a pas d’affectation, l’école propose (dans de rares cas parce que peu de lycées ont ces structures) une année en classe passerelle. En fait, il s’agit d’une année blanche, perdue et bien souvent démotivante pour ceux qui y sont passés : on les garde un an, on fait semblant de les accompagner dans un autre projet de formation. C’est une garderie supérieure organisée.

Les autres sont voués aux petits boulots ou à la rue de leurs quartiers.

Mais il y a aussi tous ceux qui ne sont pas admis, malgré un « bon dossier » et qui ne comprennent pas pourquoi.  Ce que l’on sait moins (ou pas du tout), c’est que chaque établissement supérieur a la main sur la plateforme de Parcoursup pour ajouter les critères de leur choix en fonction des profils d’étudiants qu’ils recherchent. Prenons par exemple un lycée qui sélectionne ses étudiants de BTS. Il reçoit en mai – pour une centaine de places – environ 3000 dossiers d’élèves. Selon les formations, des réunions ont lieu pour déterminer avec les professeurs de la spécialité les critères propres à l’établissement. Dans les universités, le processus est identique. On peut sélectionner une moyenne en deçà de laquelle on ne descend pas, une distance géographique (habitation-établissement), distinguer les parcours cohérents des autres, étudier les dossiers scolaires, les lettres de motivation. En fonction des critères, des dossiers corrects peuvent être refusés.

Quand tous les dossiers ont été traités par l’équipe enseignante, il y a une nouvelle réunion et on discute des cas « litigieux ».

Imaginons le même travail à l’échelle du nombre de candidats dans les universités. Les secrétariats ne peuvent procéder à l’examen de tous les dossiers. Je cite ici les paroles de Catherine Moisan, membre du comité éthique de Parcoursup, instance indépendante qui veille au bon fonctionnement du dispositif. (Hebdomadaire La croix, février 2022). [3] « Mais un candidat peut se voir refusé ou relégué en fond de classement sans qu’aucun humain n’ait ouvert son dossier ».  C’est alors l’algorithme qui « match » ! « La base algorithmique de Parcoursup est d’ailleurs la même que celles d’APB et des outils d’orientation similaires utilisés à l’étranger. On parle d’algorithme de mariage. Il s’agit de faire « matcher » les candidats avec les formations. Parcoursup, c’est le « Meetic » de l’enseignement supérieur. »

Les élèves des lycées de banlieue sont absolument conscients de la « place » qu’ils occupent et disent leur sentiment d’être relégués mais aussi leur résignation. Ils reconnaissent régulièrement le caractère profondément inégalitaire de l’école, ils s’en indignent mollement parfois mais ils ne se révoltent pas parce qu’ils ont intériorisé que telle est leur situation.

 

Intermède

Quand je dis que l’école telle qu’elle est sépare les élèves de leur désir, c’est peut-être encore pire. Je pense qu’elle rend impossible, pour la plupart, l’idée même de désir puisque, durant toute leur scolarité, les élèves ont l’esprit envahi par des calculs de « réussite », par le souci d’entrer dans les bonnes cases et de les cocher toutes, sont soumis aux pressions liées à leurs résultats, à l’ennui quand ce n’est pas à une orientation forcée (lycée professionnel ou classes technologiques). Comment pourraient-ils faire une place à la curiosité, à la découverte, à la pensée, au travail ?  Comment peuvent-ils se faire confiance, croire qu’ils peuvent suivre leur propre chemin ?

Les professeurs eux-mêmes, dans une grande majorité, entérinent le renoncement et la relégation – et transmettent y compris le sentiment de la leur (lycée de seconde zone – corps enseignant de seconde zone). Ils conseillent aux parents des meilleurs élèves de trouver une adresse parisienne pour contourner l’obstacle : pas de salut hors les établissement élitistes ! Ce faisant, ils entretiennent eux-mêmes, auprès des élèves, l’idée qu’il n’y a pas d’avenir pour eux. Façon de les contraindre encore plus à accepter leur sort et de les décourager de suivre leurs désirs ou leurs goûts puisque leur lycée d’origine leur ferme la plupart des portes (logique d’assignement à une place). Ils légitiment ainsi que ce qu’on enseigne peut donc être revu à la baisse.

Au lieu de penser qu’il faut encore plus donner à ces élèves (contenus, sens, curiosité, réflexion…), on n’attend rien d’eux et on leur transmet le minimum en leur reprochant en même temps de ne rien connaître et d’être de plus en plus « mauvais ».

Nous contribuons au système de sape de l’intérieur de l’école. C’est une jeunesse que l’on brime, que l’on enferme sous le régime de la nécessité conjoncturelle, et au nom de nos valeurs, à qui l’on assigne une place définitive.

Les élèves, de leur côté, intègrent de plus en plus tôt que s’ils échouent à l’école c’est-à-dire s’ils n’ont pas des résultats qui leur permettent d’être pris dans la formation de leur choix, ils sont non seulement fichus mais responsables.

 

  • L’école organise la résignation et le défaitisme et entérine la désorientation, à moins qu’elle ne l’érige en modèle. Le travail, la vie des gens, tout doit s’adapter au chaos.

 

Ce qui caractérise la fonction idéologique de l’école aujourd’hui, c’est ce qu’on pourrait appeler la fabrique et la gestion de la désorientation. Il s’agit, nous l’avons montré, d’organiser pour le plus grand nombre la déception, la résignation, le scepticisme, de séparer les enfants de ce dont ils sont capables, de les séparer de leur désir et d’intérioriser ce scepticisme de façon qu’ils ne se révoltent pas. De ce point de vue, l’école fait bien son travail, les élèves sont remarquablement dociles. Le travail de sape commence dès l’école primaire, comme un rouleau compresseur qui ne leur permet pas de penser différemment, ni même de penser qu’il est possible de penser autrement, y compris l’ordre du monde présenté comme seul possible nécessaire, bon et enviable.

Le corollaire de cela est donc bien de faire, de fabriquer des citoyens engagés sur les valeurs de la République qui se donnent comme les principales idéologies de la gestion de la désorientation. Pendant sa scolarité, l’élève est ainsi pris en tenaille, jamais libre d’être ou de devenir ce qu’il aimerait mais assujetti à un système qui le considère comme une variable d’ajustement au gré de la conjoncture et qui le maintient sous une pression permanente.

 

IV ) Reconstituer un espace de ce qu’il s’agit d’enseigner en examinant ce qui peut être au fondement des enseignements, en pensée, pour s’orienter et devenir adulte.

En conclusion, l’école publique est morte. En même temps, lorsqu’un professeur y travaille avec le souci d’éveiller les élèves à la pensée, ils sont très réceptifs. Mais les conditions de travail sont telles que ce type de travail ne peut pas trouver sa vraie échelle, ses dimensions utiles et nécessaires de l’intérieur de l’école.

Il faut donc créer des lieux extérieurs à l’école où faire venir les élèves et commencer un vrai travail d’enseignement auprès d’eux.

Il manque aujourd’hui pour enseigner une intellectualité générale de l’enseignement reposant sur une vue d’ensemble de ce que doit être d’éduquer les enfants à la pensée. Enseigner ce doit être accompagner les élèves à travers de vrais savoirs de façon à leur permettre de rencontrer quelques idées dont ils puissent penser que c’est ce dont ils ont besoin pour vivre, pour s’orienter dans leur existence et pour être fidèle à leur désir.

Cela ouvre à une double tâche : quels principes doivent guider l’enseignement? Quels savoirs faut-il transmettre ?

 

Dans un premier temps, nous proposons de former une grande bibliothèque réunissant l’ensemble des livres et autres supports que chacun pourrait étudier s’il le désire.

Quatre entrées sont proposées :

Politique, Arts, Science, philosophie

 

A terme, inventer un nouveau lieu d’organisation de la jeunesse.

 

Mars 2022

 

 

Ajout : précision sur l’évaluation

Le gouvernement conscient qu’on puisse lui reprocher de faire un bac au rabais selon les quartiers ou au contraire élitiste s’est ainsi avisé en début d’année d’imposer à tous les lycées de France un P.L.E (Plan Local d’Evaluation). Ce P.L.E vise à « harmoniser » les évaluations dans les établissements entre toutes les disciplines. Il s’agit de statuer sur le nombre d’évaluations minimal, sur leur qualité (formative, sommative, certificative), de proposer pour toute absence d’élèves de nouveaux sujets et d’éliminer le zéro ( lui préférer Non Rendu ou Non Fait). Cette harmonisation met en péril la façon de travailler du professeur avec ses élèves et contribue à ce que l’on coche des cases d’évaluation faute d’avoir le temps de transmettre. En effet, il s’agit d’imposer des évaluations normées et au même rythme pour toutes les matières. Or nous avançons tous à notre rythme, nos modalités de contrôles sont différentes et leur nombre varie en fonction du professeur, de sa classe et surtout de sa discipline.

Mais le P.L.E a aussi des conséquences catastrophiques sur le rapport des élèves à leur note, à leur travail et sur le rapport avec les parents. Chaque note (puisque c’est le contrôle continu qui prévaut) est une véritable épée de Damoclès sur l’élève qui ne lui donne plus droit à rater, à se rattraper, à progresser et dès lors, ce sont des négociations infinies à chaque devoir rendu avec les professeurs ou des tensions avec les parents qui contestent également la mauvaise note.

Du côté des parents, l’école est devenue une source de tension, d’inquiétude permanente.  Le P.L.E qui est communiqué à tous comme la règle à suivre, induit chez les parents un droit de regard et de contestation auprès de l’enseignant. Un parent peut ainsi demander des comptes au professeur sur la nature, le contenu, la fréquence de ses évaluations…  Les parents peuvent suivre également chaque note de leur enfant sur PRONOTE. C’est l’outil numérique de l’Education nationale qui a remplacé le cahier de texte papier : il sert également de messagerie instantanée, à toute la communauté scolaire. Il permet donc à tous d’être connectés avec les professeurs, l’administration, les parents et les élèves. Certains parents exigent parfois que les professeurs mettent en ligne leurs cours. C’est un outil de surveillance qui loin d’apaiser le climat à l’école, le rend souvent délétère et peu propice au travail.

Une conséquence déjà visible de la mise en place du P.L.E. est qu’au moment des conseils de classe du 1er trimestre de première, on demande aux professeurs d’avoir des notes surnotées afin de ne pas pénaliser les élèves (de banlieue) qui sont (de toutes façons) déjà défavorisés par la plateforme Parcoursup (contrôle continu oblige).

 

[1] 330 euros formule « inspiration » basée sur un seul entretien d’une heure et demie qui débouche sur la rédaction d’une liste de vœux. 590 euros la formule « sérénité » pour un conseiller qui se charge des formalités de bout en bout. La Croix Hedomadaire février 2022

[2] Il existe également l’IVAL, indicateurs de valeur ajoutée des lycées. Je cite « la valeur ajoutée mesure la différence entre les résultats obtenus et les résultats attendus compte-tenu des caractéristiques scolaires, sociodémographiques des élèves ».

[3] APB 2002 – Parcoursup 2018

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