Cours de philosophie de Julien Machillot

Atelier Archégalité

Ecole des Actes – samedi 11/06/2022

Texte bâti à partir de mon intervention

Suivi d’un bilan des discussions

 

Ecologie, Ecologisme, Ecologie Politique

 

Face au caractère désormais hypersubjectivé de la question dite écologique, il me semble qu’on ne peut pas ne pas entrer philosophiquement dans cette question par la question de la subjectivité.

Je commencerai par une sorte d’énoncé de morale provisoire : je crois qu’il faut aborder ces questions avec sang-froid, recul et prudence. Ne pas se laisser happer par la subjectivité paralysante de l’urgence, le sentiment d’impuissance, les fantasmagories de fin du monde, bref par le scepticisme ambiant, considérer cela au contraire comme hautement suspect, car travaillant au renforcement du conservatisme sceptique. Il y a nécessité d’un contrôle rationnel des questions. C’est en tout cas ce que je me propose de commencer ici.

1/ Se donner comme enjeu la soustraction aux idéologies régnantes contemporaines, c’est d’abord se proposer d’ouvrir une discussion à propos de ce qui est devenu quasiment impossible à discuter, car idéologiquement considéré comme indiscutable. Ouvrir un espace de discussion à même de faire sauter les verrouillages idéologiques qui nous aliènent collectivement, les faux choix d’opinion qui nous oppressent. Les discussions sérieuses à propos de ce qui intéresse la vie de tous doivent permettre de construire une pensée collective durable, solide et permettant de savoir quoi faire et ne pas faire, comment se positionner, quoi affirmer et quoi refuser. Tout cela est rendu très difficile par l’état actuel du débat public d’opinion. Mon hypothèse est que c’est là l’effet d’une situation de désorientation idéologique générale résultant de ce qu’il n’y a pas de perspective claire en termes de choix antagonique d’ensemble universellement identifiable. C’est un point important car c’est déjà une thèse sur la politique et sur la pensée politique : il n’y a de pensée politique qu’à la mesure d’une capacité à opérer l’assomption d’un antagonisme global et à s’orienter à partir de lui.

En même temps, le problème à partir de là est celui du traitement en pensée et en acte de cet antagonisme, la façon dont le processus politique se construit à partir d’un principe antagonique d’intelligibilité. Or sur ce point rien n’est clair. Au contraire, le débat d’opinion se noie largement actuellement dans l’antagonisme factice. La structure d’opinion des idées de chacun, idées partielles dans un cadre dont le flou est à la mesure de sa supposée évidence, finit par prendre la forme d’une affirmation identitaire de soi. Alors que l’Idée est une puissance de soustraction à sa propre identité, l’opinion est ce qui réduit l’Idée à l’occasion d’une affirmation identitaire de soi. Fondamentalement, on ne pense pas, on opine. Dans les débats d’opinion entre étudiants à l’université ou entre collègues au bureau, entre proches ou amis, fondamentalement, on ne pense pas pour s’émanciper collectivement, on opine pour se faire sa petite place dans le monde tel qu’il est, de façon à avoir le beurre et l’argent du beurre, le beurre de ce qu’il y a à prendre pour soi dans ce monde et l’argent du beurre de pouvoir se faire valoir comme étant révolté contre ce monde ou du moins critique du gouvernement en place.

2/ L’écologie nomme quelque chose dont je suppose qu’on peut avoir en commun que ça se situe à la croisée d’un problème réel, important, en même temps que d’une désorientation radicale, celle dont je viens de parler, au point que pour ma part je refuse catégoriquement de me dire « écologiste ». Je ne suis pas écologiste. Et je pense que cette position qui est la mienne est tout à fait sérieuse, fondée, le point important étant que je ne suis pas écologiste au sens où je nierais l’existence d’un problème important comme celui du réchauffement climatique, qui existe bien réellement, mais au sens où à mon sens refuser de se dire écologiste est à mon avis une condition essentielle, même nécessaire, pour commencer à prendre un tout petit peu au sérieux ce à quoi on est confronté. C’est donc du point de cette position en apparence paradoxale, contradictoire, inconsistante, du point de l’espace actuel des opinions établies, que je parle. Et c’est donc là-dessus aussi que je veux commencer à m’expliquer aujourd’hui.

3/ Il faut distinguer entre écologie (science), écologisme (idéologie) et « écologie politique » (politique).

Trois domaines distincts :

Le Réel tel que scientifiquement déterminé (en vue d’une connaissance vraie).

Le Symbolique tel que politiquement transformé (en vue d’une émancipation collective).

L’Imaginaire tel qu’idéologiquement lesté (à l’ordre établi).

Ce sera là mon entrée dans les questions pour aujourd’hui :

 

A : Ecologie :

Je soutiens qu’un écologiste en son seul sens viable est un scientifique dont l’objet d’étude est le réchauffement climatique ou autre phénomène global menaçant tendanciellement les conditions de vie sur terre en général et d’existence de l’espèce humaine tout entière en particulier dans un avenir plus ou moins proche – et qui ont déjà des effets de catastrophe sur de multiples populations du monde. Le Giec estime apparemment que l’existence de plus de 3 milliards d’êtres humains est menacée d’une manière ou d’une autre par les effets du réchauffement climatique.

Un problème essentiel est qu’on a affaire à des sciences, en particulier sciences du climat, mélangées avec tout un tas de fausses sciences. Une des caractéristiques de la situation contemporaine est que si l’obscurantisme antiscientifique existe toujours, la principale menace ne vient plus tant de lui (comme au temps de Giordano Bruno ou Galilée par exemple), mais plutôt de l’obscurantisme scientiste qui véhicule sous le nom de science de multiples contrefaçons plus ou moins ridicules ou élaborées, mais dont il ne faut en aucun cas sous-estimer la puissance de désorientation. L’espace des sciences écologiques mériterait un vaste examen épistémologique extrêmement serré, rigoureux et pointilleux, de façon à déterminer des critères stables de discrimination entre vraies sciences et fausses sciences, de façon à pouvoir se rapporter à la littérature scientifiques et aux énoncés qui viennent de l’espace scientifique autrement que l’angle pernicieux dès lors que réduit à lui-même du type : « c’est un fait » ou « c’est la science qui l’a dit ». Ces énoncés réduits à eux-mêmes ne sont plus que des arguments d’autorité vides de sens. Le moins qu’on puisse dire est que rien n’est très clair de ce côté, il y a bien tout un travail qui manque, du moins à ma connaissance.

Dans tout cela il y a la centralité actuelle de l’institution du Giec, qui se situe au cœur d’une vaste stratégie politico-scientifique. La tâche du Giec (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est synthétiser dans de grands bilans réguliers l’ensemble des connaissances scientifiques sur l’évolution du climat et en particulier le réchauffement climatique lié aux gaz à effet de serre, ainsi que son impact sur l’environnement et les sociétés humaines. Un point oublié mais qu’il est à mon sens crucial de souligner est que le Giec est fondé en 1988 par… Reagan et Thatcher. L’enjeu pour eux est de neutraliser l’autonomisation (en regard des Etats) de l’institutionnalisation des recherches scientifiques sur le climat dans le cadre des organisations internationales. Le Giec permet aux gouvernements des Etats membre de garder la main sur les processus institutionnels de la recherche scientifique. En outre, la création du Giec entrait dans la stratégie de Thatcher de jouer de l’électricité contre le charbon pour écraser les puissants syndicats des ouvriers du charbon. Quant à Reagan, on a déjà vu dans un cours précédent combien il se tenait du côté des grandes firmes capitalistes qui, détournant les thèmes écologistes nés des mouvements des années 60 et 70, avaient réussi à imposer le recyclage des déchets en lieu et place d’une transformation substantielle de la production…

Importance, donc, d’en revenir à l’origine réelle du Giec et des enjeux politiques de sa création, non pour mettre frontalement et arbitrairement en cause les résultats scientifiques de ses travaux mais pour se défaire d’une mythologie particulièrement tenace et désorientante : celle qui oppose les bon climatologues potentiellement anticapitalistes contre les affreux climatosceptiques défenseurs conservateurs du capitalisme mondialisé. En réalité, il faut bien comprendre que le Giec a été créé par la volonté des principaux chefs de file politiques de ce que la gauche universitaire a appelé le néolibéralisme. Ce qui signifie qu’il ne renvoie pas à un antagonisme entre capitalisme et autre chose, mais à une contradiction interne au capitalisme contemporain, entre les héritiers du productivisme et des marchés capitalistes du 19ème et 20ème siècles et les tenants d’un capitalisme modernisé cherchant à s’émanciper des contraintes politiques liées à la production ouvrière et créatrice de nouveaux marchés dans le cadre de l’internationalisation de la chaîne de production. On pourrait dire que la création du Giec et le développement de l’écologisme ces dernières décennies symptomatise la contradiction entre un capitalisme traditionnel et un capitalisme modernisé. Ce qu’il est intéressant de souligner ici est que les « climatosceptiques », puisque c’est le terme depuis longtemps consacré, donc les sceptiques quant à l’existence du réchauffement climatique ainsi qu’à l’origine humaine de ce réchauffement sont les représentants des intérêts du capitalisme désormais traditionnel, en particulier centré sur l’extraction et l’usage des énergies fossiles, principales responsables du réchauffement climatique. Tandis que les climatologues les plus dogmatiques, c’est-à-dire ceux qui font du réchauffement climatique le fondement de toutes les questions politiques de notre temps, sont les tenants d’un capitalisme cherchant la voie de sa modernisation. C’est donc une position inversée par rapport à ma propre théorisation de l’opposition entre conservatisme dogmatique de la tradition et conservatisme sceptique de la modernité, que je ne fais qu’indiquer ici mais dont il faudra à mon sens tirer les conséquences.

Toujours est-il que la première leçon à tirer du réel politique de l’origine d’une institution devenue aussi éminente que le Giec, c’est qu’il ne faut absolument pas sous-estimer les contradictions internes au capitalisme. Il faut connaître et comprendre ces contradictions.

Par ailleurs, c’est jusqu’à la planification des recherches des différents groupes scientifiques de travail qui composent le Giec qui sont soumis à l’approbation des gouvernements. Quoique décident les gouvernements, l’ensemble des travaux du Giec sont a minima acceptés par eux et toujours réalisés sous leur aval et les gouvernements gardent la possibilité de ne pas en approuver les résultats, de se déclarer en désaccords avec les travaux du Giec.

Le Giec est une institution internationale à la fois scientifique et politique. Sa nature est intrinsèquement hybride. La recherche scientifique y est entièrement sous la dépendance des Etats.

Cela ne remet pas en cause les résultats globaux des recherches – ce point doit de toute façon relever d’une évaluation scientifique intrinsèque – mais ça remet en cause le format de ces recherches, en tant qu’il oriente les recherches et les oriente vers des types de recommandation.

Plus précisément, on voit ici se dessiner le rapport entre l’institution du Giec et l’idéologie écologiste. Financé et finalement tenu en laisse par les Etats, le Giec en vient à décrire l’ampleur de la catastrophe tout en dépolitisant fortement la nature de cette catastrophe, c’est-à-dire sans mettre frontalement en cause les Etats responsables et, à travers eux, l’ensemble de la structure du capitalisme mondialisé. Ce faisant, le Giec contribue à faire du réchauffement climatique un réel d’autant plus effrayant que, dépolitisé, il semble n’avoir aucune prise. D’où la prolifération de fantasmagories de toutes sortes, séparées du réel de la chose climatique.

D’une certaine façon, le Giec réalise le vœux de Latour de rompre la séparation entre science et politique. Il parle lui-même d’une sorte de « parlement des choses ». On voit ce à quoi cela conduit : à la soumission des sciences aux Etats. Contre cela, il faudrait au contraire renouer avec un enjeu de séparation de la science et de l’espace des Etats, de séparation de la science et de la politique.

Un autre point que je voudrais souligner, concernant cette fois la façon d’approcher la question générale du climat : il faut bien comprendre que le climat est problème de vie ou de mort pour l’humanité depuis toujours. Ce n’est pas en soi un problème nouveau, même s’il pose désormais de nouveaux problèmes à l’humanité. Il semble que dans l’histoire de la planète Terre, la notion d’un climat stabilisé soit l’exception et non la règle. Il y aurait eu en particulier une relative stabilisation, exceptionnelle, du climat, ces 10 000 dernières années. Cette stabilisation commençant dont à peu près avec le passage de l’humanité au néolithique. Or sur ce point, des scientifiques vont jusqu’à faire l’hypothèse selon laquelle l’humanité aurait contribuée à une stabilisation du climat des dernières 10000 années. C’est une hypothèse, elle n’est pas tranchée, mais elle est tout à fait sérieuse.

En regard de cela, on peut dire qu’aujourd’hui :

1/ Le réchauffement climatique existe.

2/ Il est d’origine humaine, plus particulièrement l’effet du développement du capitalisme ces deux derniers siècles.

3/ On entre dans l’inconnu. La subjectivité écologiste est largement constituée par la peur de cet inconnu. Je me semble que contre cette peur, il serait nécessaire d’introduire un élément de stoïcisme dans la subjectivité au travail. Une capacité d’indifférence.

 

B : Ecologisme :

L’écologisme n’est pas à proprement parler le nouvel opium du peuple, car il n’y a pas de peuple.

L’écologisme est le nouvel opium de la classe moyenne en général ainsi que de la classe bourgeoise cultivée.

 

B – a : L’écologisme est interne au démocratisme :

Ce que j’appelle démocratisme est un espace idéologique qui s’est largement déployé à partir des années 80 et qui a ensuite muté, il s’est métamorphosé et pris diverses formes à travers les différents stades de sa contestation interne.

Le démocratisme est apparu avec les intellectuels thermidoriens de la fin des années 70, début 80, qui ont renié leur conviction communisme de jeunes intellectuels pour se rallier à l’ordre établi et appeler au ralliement au consensus parlementaire, opérant la réduction de la politique au parlementarisme contre la dictature, enrobé dans la pseudo-opposition de la démocratie et du totalitarisme.

Le démocratisme, c’est d’abord ça : la réduction de la politique à l’espace parlementaire, centré sur élections, mais admettant également la manifestation des mouvements sociaux – sociaux, pas politiques – ce en quoi le démocratisme est aussi un mouvementisme. Le démocratisme, c’est le parlementarisme comme référent politique et son corollaire, le mouvementisme comme moyen de faire vivre une opposition interne, une contestation limitée et un esprit de revendications, tout cela faisant de l’Etat la médiation incontournable, incontestée et indépassable de la politique.

Mais ce qui caractérise le démocratisme à partir de là, c’est la soustraction de la politique à l’enjeu d’émancipation, ce qui signifie la réduction de la politique à un stricte enjeu de survie. La politique cesse d’être fondée sur l’affirmation d’un bien, le bien de l’émancipation de toute l’humanité, pour être circonscrite à une fonction de limitation du mal. D’où l’importance de bien distinguer entre enjeu d’émancipation et enjeu de survie, car on ne pense pas du tout la politique de la même façon dans les deux cas. L’émancipation collective réelle ne saurait être l’expression d’une simple capacité de survie ou d’adaptation.

Dernière caractéristique générale : la dimension « inclusive » du parlementarisme faisant de la politique de défense des droits des minorités le contrepoids mouvementiste de la logique parlementaire de la volonté de la majorité. Les mouvements de défense des droits des minorités comme corollaires de l’acceptation des élections au suffrage dit universel.

Brève généalogie du démocratisme :

Dans les années 80, cela s’est donné sous la forme de l’idéologie des droits de l’homme et la promotion sans précédent de l’humanitaire. Ce qui a produit des choses très graves, en particulier l’intervention de l’Otan en Yougoslavie, c’est-à-dire à la promotion de guerres dites « d’ingérence humanitaire ». Cela a ouvert la voie, une fois le nouvel ennemi de l’ordre mondial américain identifié sous le label de « terrorisme », aux guerres américaines en Afghanistan puis en Irak (ou il s’agissait même, cette fois, d’une guerre dite « préventive »). En même temps, je pense que ce sont ces guerres américaines qui ont ouvert à une contestation du démocratisme, du fait de leur enlisement, mais qui est restée une contestation interne, relevant elle-même du démocratisme parce que maintenant le paradigme politique de la survie. A la fois à l’intérieur de l’humanité dans le cadre des politiques dites de « défense des minorités ». La critique consistant à dire que les droits de l’hommes ne sont les droits que de « l’homme blanc occidental » et qu’il faut étendre ces droits aux femmes ainsi qu’à ceux qui seront bientôt appelés du nom horrible de « racisés ». D’ailleurs, le mouvement Black Lives Mater est caractéristique du démocratisme : si on le prend au sérieux dans son sens littéral – « la vie des noirs compte », ce n’est pas un énoncé d’émancipation égalitaire mais un énoncé revendiquant le droit à la survie des corps noirs, c’est-à-dire le droit de ne pas être tués par la police parce qu’on a la peau noire. La vie, c’est la vie au sens biologique du terme. D’où le caractère consensuel de ce mouvement aux Etats-Unis et au-delà, et d’où surtout le fait que le solde de ce mouvement a été le vote massif en faveur de Biden pour « dégager » Trump. Non pas que les militants de ce mouvement adoraient Biden, loin de là, mais dans une logique typique du démocratisme et de sa réduction de la politique l’enjeu de survie et de limitation du mal, qui est de se laisser systématiquement acculer à devoir choisir entre le mal et le moindre mal, c’est-à-dire à des choix politiques par défaut, dits « réalistes », choix politiques que je dirai de type sceptique – scepticisme quant à la possibilité d’être dans le choix politique d’une affirmation réelle. A noter que la variante la plus récente de ce type de choix écologiste tient dans la formule : « une autre fin du monde est possible ». Autrement dit, une fin du monde moins pire, mais une fin du monde quand même.

Et il y a également eu une critique interne consistant à étendre les droits à des êtres cette fois non humains – les droits des animaux conduisant à l’antispécisme soutenant la thèse que l’homme est un animal comme un autre et les droits du vivant en général au nom de la « préservation des écosystèmes », de la « conservation des équilibres naturels », etc. C’est là qu’intervient l’écologisme comme mouture devenue centrale du démocratisme. L’enjeu est alors celui de la survie de l’espèce humaine dans un contexte global appelé « anthropocène » ou mieux « capitalocène ». Mais appeler ce contexte « capitalocène » n’empêche pas par soi une autre caractéristique du démocratisme écologiste qui est d’induire ce que je proposerai d’appeler des « effets de transcendance idéologique », au sens où l’enjeu de la survie transcende les antagonismes politiques profonds qui divisent ceux dont il s’agit d’assurer la survie. L’effet de transcendance idéologique est un effet de relativisation radicale des contradictions antagoniques, et c’est précisément cette relativisation qui caractérise l’abandon de l’enjeu d’émancipation. Le travail de l’émancipation s’enracine en effet nécessaire sur le courage de la prise en compte de la contradiction antagonique qui traverse l’ensemble de l’humanité et qui la divise radicalement.

Fonder la politique sur l’enjeu d’émancipation égalitaire, c’est penser la politique sous le signe de l’infini.

‘Fonder’ ou plutôt « effondrer » ou enraciner la politique dans un enjeu de survie, c’est penser la politique sous le signe de la finitude.

 

B – b : Critique de la critique écologiste du productivisme :

L’idéologie écologiste se fonde sur le consensus d’une critique générale de ce qui est appelé le « productivisme ». Or je pense que cette « critique du productivisme » est la véritable imposture idéologique de l’écologisme sous ses formes variées. La notion de productivisme véhicule des présupposés de nature métaphysique qui fonde l’idée d’une culpabilité métaphysique de l’humanité, c’est-à-dire d’une culpabilité intrinsèque à une supposée essence ou nature humaine, sorte de résurrection du motif religieux du péché originel, que renforce d’ailleurs l’usage idéologique de la notion d’anthropocène.

Il faut à mon avis prendre très au sérieux cette dimension proto-religieuse de l’écologisme, car elle indique un problème interne à l’athéisme moderne. Ce problème, c’est à mon avis son relativisme foncier, conduisant l’athéisme à déclarer l’absence de tout absolu au motif du caractère intrinsèquement irrationnel de l’absolu religieux. Or, au lieu de soutenir la thèse de l’existence de l’absolu et de travailler à sa rationalisation irréligieuse, la thèse athéiste de l’inexistence de l’absolu maintient l’absolu du côté de l’irrationalisme. D’où sa résurgence sous la forme d’un absolu irrationnel post-religieux, dont l’écologisme est une occurrence toute à fait symptomatique.

Le présupposé métaphysique est le suivant : il y a un productivisme inhérent à la nature humaine qui conduit l’humanité à sortir de la nature, à la dominer et finalement à la détruire. Le productivisme est le nom de l’hubris de l’humain. Pour sauver la planète et l’humanité, il faut sortir de ce productivisme d’essence. (Sur ce point je renvoie à une reconstruction plus fine de l’écologisme opérée par Dominique Mazuet dans son livre Les Veaux et les Choses.)

On voit bien ici que le problème central, c’est la façon dont, comme disait Lacan, la métaphysique sert ici de bouche trou à la politique, c’est-à-dire la façon dont le productivisme métaphysique de la nature humaine vient recouvrir le réel du mode de production capitaliste, seul vrai responsable de la mise en péril actuelle des conditions de la vie sur terre. Mais même sur ce terrain-là, sur le terrain du mode de production capitaliste, il faut continuer cette critique de la critique écologiste du productivisme.

Je voudrais sur ce point faire un sort tout particulier à l’idéologie écologiste de la décroissance. Il est parfaitement erroné d’affirmer que ce qui caractériserait le capitalisme dans sa configuration mondialisée actuelle serait le productivisme, un productivisme exacerbé ou un hyper-productivisme. On voit bien que ce qui intéresse les capitalistes aujourd’hui, comme facteur essentiel de profit, c’est non pas l’espace de la production, mais celui de la finance. La mondialisation capitaliste des dernières décennies s’est accompagnée d’un grand renversement de hiérarchie entre la finance et la production, ce qui a conduit à faire de l’actionnaire et non plus du PDG, la figure centrale du capitalisme. Le processus de mondialisation capitaliste est aussi en même temps un processus de dévalorisation progressive de l’espace de la production au profit de la domination de la finance. On comprend assez facilement pourquoi : Dans le cadre de la finance, on fait de l’argent avec de l’argent ; dans le cadre de la production, on fait de l’argent avec le surtravail, c’est-à-dire avec le travail de ceux qui produisent. La logique financière n’a pas besoin de producteurs, seulement de gens qui consomment et qui ont besoin de crédits pour consommer plus. La contradiction centrale du capitalisme reste la contradiction constitutive entre forces productives et modes de production. Le primat de la finance sur la production permet en quelque sorte d’opérer une tentative de neutralisation de cette contradiction principale constitutive. En ce sens, on peut bien dire et on doit répéter que la production est nécessaire, qu’elle conditionne la possibilité même de la finance, qu’elle reste à la base de tout. Certes, oui. Il est toujours important de le rappeler. Mais c’est précisément bien ce qui fait de la production un problème plutôt qu’une solution aux yeux des capitalistes. La production est devenue le mal nécessaire du fonctionnement du capitalisme. Le capitalisme cherche l’accumulation de capital et non l’accroissement de la production. On peut dire que d’une certaine façon, l’économie politique du capitalisme mondialisé contemporain est fondée sur l’enjeu de faire le plus d’argent possible avec le moins de production possible et ce faisant d’accroître au maximum l’espace de la finance au détriment de celui de la production.

C’est d’ailleurs ce qui éclaire à mon sens le phénomène de sous-traitance généralisée du travail. Cette systématisation de la sous-traitance ne s’explique pas par la seule extension empirique d’une chaîne de production devenue mondiale, mais aussi et surtout par l’enjeu, pour ceux qui sont en haut de la hiérarchie pyramidale de la chaîne de production, de déléguer les tâches de production afin de se réserver les fonctions de la finances, dans le cadre de ce qu’on appelle les fabless, c’est-à-dire des sociétés sans usines, sans unité de production, des sociétés qui ne produisent plus rien par elles-mêmes.

Pour conclure sur ce point, un petit détour par la politique nationale. Vous savez qu’une des premières mesures prise par Macron après son arrivée au pouvoir en 2017 a été la suppression de l’impôt sur la fortune. L’argument avancé, dont on savait bien déjà à l’époque qu’il était bidon, c’était que cela inciterait les plus riches à investir leur argent dans la création emploi, et favoriserait ainsi la réduction du chômage de masse. Le problème est de bien comprendre pourquoi c’était bidon. Pour créer des emplois à grande échelle, il faut investir, c’est-à-dire relancer la production. Or ce qui empêchait les riches d’investir, ce n’était évidemment pas parce que ces ‘pauvres’ fortunés payaient trop d’impôts. Ça on est bien d’accord. Cela aurait été une raison toute contingente si je puis dire, une raison liée aux contingences de la politique fiscale nationale. Or en réalité c’était pour une raison essentielle, intrinsèque à la nature du capitalisme actuel, qui réduit au maximum les logiques de production au profit de celles de la finance. Et sur ce point, il faut bien dire que qu’un pays comme la France a certainement aujourd’hui bien plus un problème de sousproduction que de surproduction, comme on a pu le constater à la faveur de la pandémie de Sars-Cov-2 depuis 2020.

Autrement dit, si la décroissance se définie par l’idée que la production est un problème en soi et qu’il faut produire moins, alors l’idéologie des capitalistes est désormais une idéologie de la décroissance. Et tous ceux qui nous répètent à longueur de journée qu’il faut arrêter de croire qu’on puisse produire à l’infini dans un monde aux ressources finies ne sont que de vilains curés écologistes. Le vrai problème n’est pas l’extension de la production, mais le mode de production en tant qu’il s’agit du mode de production capitaliste. La question n’est pas de produire moins, mais comment on produit.

 

Productivisme et Révolution culturelle.

Si la catégorie de productivisme a un sens, elle doit être prise comme un nom politique. En particulier, dans l’histoire des Etats socialistes du 20ème siècle, le productivisme a été l’autre nom du stalinisme. Ce productivisme était articulé à l’économie de guerre, le grave problème étant que toute la politique soviétique a rapidement fini par traiter l’ensemble des problèmes politiques de la vie collective comme relevant du paradigme de la guerre.

A ce titre, la seule vraie critique du productivisme au 20ème siècle, ça a été le maoïsme, et en particulier la Révolution culturelle. L’enjeu fondamental était de remettre la capacité politique des masses au poste de commandement en lieu et place des diktats productivistes propre à l’économisme stalinien. Il s’agissait également, ce faisant, de transformer le mode de production intrinsèquement capitaliste des usines socialistes en mettant en cause la division du sociale du travail, l’opposition entre travail intellectuel et manuel ainsi qu’entre tâches de direction et de réalisation. C’est là la question politique centrale qui se pose, aujourd’hui plus que jamais, à l’égard de la production.

Je dirai en conclusion que la critique écologiste du productivisme métaphysique se donne également comme une énième opération de recouvrement de la Révolution culturelle chinoise. Sans doute faut-il aujourd’hui repartir des leçons de la Révolution culturelle, en bilan de ses impasses, mais aussi et surtout de ses audaces expérimentales.

 

            A parte ontologique :

Quelle est l’ontologie de cette idéologie, l’ontologie écologiste ?

Son motif central, c’est la Terre, dans la perspective d’une ontologie anthropologique.

La Terre, lieu du vivant, des écosystèmes. La Terre comme écosystème global de l’ensemble des écosystèmes locaux.

La notion d’écosystème implique le primat de l’équilibre sur le déséquilibre dans la définition même de la nature. Primat du régulier sur l’irrégulier, etc.

Comme l’a écrit Latour, la Terre, c’est la nécessité pour l’humanité d’atterrir.

Passage d’une ontologie de la nécessité ultimement fondée sur la principe leibnizien de raison suffisante à ce qu’on peut appeler de manière générale une ontologie de la contingence. Mais une contingence conçue de telle façon qu’elle reconduit à la nécessité. Contingence destructrice de ses conditions de possibilité conduisant à la nécessité par défaut, la survie, etc., toile de fond du démocratisme ambiant.

Le mot d’ordre écologiste est donc celui d’un retour à la terre se donnant sous la forme d’un retour à la nécessité.

Comme disait Pétain, maréchal de France à la tête du régime de Vichy sous occupation nazie : la terre ne ment pas !

Version comique des dernière élections présidentielles : discours de Jean Lassalle (pour changer un peu de Zemmour): « les paysans, eux, ne mentent pas ; ils ne sont pas comme nous, les politiques ! » Lassalle étant un politique, donc un menteur, cela ouvre à l’abîme insondable de paradoxes logiques bien connus.

Retour à la terre = retour à la nécessité.

La nécessité résulte de la contingence et non l’inverse. Contingence de la nécessité plutôt que nécessité de la contingence.

Tel est le noyau du l’ontologie écologiste du conservatisme sceptique.

Le scepticisme, ici, concerne l’inférence, donc la nécessité logique à portée ontologique, du passage de la prémisse de l’être contingent à la conclusion de la liberté subjective. Ceci parce que s’introduit une seconde prémisse : l’être anthropologique contingent a conduit au mal productiviste. Il suffit d’inscrire ce mal comme une nécessité anthropologique pour complexifier considérablement les rapports enchevêtrés de la nécessité et de la contingence.

Il faut donc comprendre comment l’idée de contingence, en tant qu’opérateur du conservatisme sceptique, peut devenir un motif d’oppression au même titre que le fût la nécessité.

La nécessité ontologique implique que les choses soient nécessairement ce qu’elles sont. C’est parce qu’elles sont nécessairement ce qu’elles doivent être qu’elles ne peuvent être autres, différentes, qu’elles ne sont.

La contingence ontologique, quant à elle, implique que les choses puissent ne pas être ou être autres qu’elles ne sont. Mais il s’agit d’une possibilité sans nécessité, donc, d’une certaine façon, sans raison. Donner une raison à ce qu’une chose soit différente de ce qu’elle est revient à déterminer la nécessité de cette différence. Avoir une raison de changer le monde, c’est déterminer la nécessité que la monde change. Le rapport entre contingence et nécessité est donc complexe et enchevêtré.

La contingence est peut-être la plus grande force de résistance à la transformation volontaire des choses, ce qui va tout à fait à l’encontre de la conception qu’on s’en fait ordinairement. Certes, la contingence, c’est le fait de pouvoir être autre, voire de pouvoir ne pas être, mais il s’agit d’une possibilité sans raison et par conséquent radicalement a-subjective, c’est-à-dire ne relevant nullement d’une théorie du sujet. Qu’une chose soit sans raison, on peut avoir des milliers de raisons, voire de bonnes raisons, de vouloir la changer, il n’y a aucune raison qu’une chose contingente change pour quelque raison (nécessité) que ce soit, et ceci pour la même raison qu’elle peut tout à fait changer sans aucune raison. Car avoir des raisons de changer une chose contingente, c’est réintroduire une nécessité au moins potentiellement incompatible avec la contingence de la chose. Je dis ‘au moins potentiellement’ dans la mesure où il s’agit d’introduire une nécessité subjective contre une contingence ontologique ou objective, tout dépendant alors de l’articulation intrinsèque entre nécessité subjective et nécessité ontologique. En effet, comment penser la notion d’une ‘bonne raison’ si quelque part la nécessité subjective ne se fonde pas sur un élément de nécessité ontologique ? Et comment, alors, s’articulent nécessité subjective et contingence ontologique ?

Je ne fais là qu’introduire très grossièrement à la difficulté de la question de la contingence ontologique, du rapport conceptuel entre contingence et nécessité ainsi qu’entre ontologie et théorie du sujet. Ce qu’il faut retenir, c’est la façon dont le motif ontologique de la contingence peut devenir tout autant que la nécessité traditionnelle un opérateur d’oppression, parce que la contingence laisse peu de prises à une figure de sujet. Loin d’ouvrir à une théorie du sujet absolument libre – au sens de complètement libérée de toute nécessité, donc définitivement soustraite à toute contrainte – la contingence ontologique semble au contraire rendre encore plus difficile qu’avec la nécessité ontologique le maintien philosophique de la figure du sujet comme opérateur de transformation des choses. La question du sujet est alors celle de savoir comment opérer en raison sur de la contingence sans annuler cette contingence et la recouvrir par de la nécessité. Le sujet est toujours dans le risque d’être l’opérateur évanouissant de fusionnement et d’identification de la contingence à la nécessité.

Le problème spéculatif – je ne fais que l’indiquer ici – va alors être de savoir si la contingence est traversée par un motif de finitude ou bien par un motif d’infinité. A ce titre, une ontologie contemporaine conséquente de la contingence des choses, de la contingence radicale, doit en passer par une reconfiguration de la figure de la raison, de la pensée, donc de la théorie du sujet, de façon à ce que puisse exister un sujet de la contingence, au même titre qu’il y a eu un sujet moderne de l’ontologie de la nécessité.

 

C : Ecologie politique :

C – a : Il n’y a pas d’écologie politique.

Ma thèse est qu’il n’y a pas d’écologie politique. Pourquoi ? Parce qu’on ne peut faire de la question écologique le centre organisateur de l’intellectualité politique. Placer le fondement de la pensée politique du côté de l’écologie, c’est accepter la réduction de toute conception de la politique au paradigme de la survie, c’est une opération interne du démocratisme actuel. Il faut placer le fondement de la pensée politique du côté de l’enjeu d’émancipation, à partir de quoi se détermine la pensée des problèmes liés au réchauffement climatique etc. Il y a une politique d’émancipation, dont les problèmes écologiques sont un des paramètres, important, certes, mais un paramètre et non un fondement.

Plus fondamentalement, il n’y a pas d’écologie politique parce que, l’écologie relevant de la science, il n’y a pas de transitivité entre la science et la politique. Il n’y a pas de transitivité du descriptif (scientifique) et du prescriptif (politique) qui placerait la science en position de fondement de la politique. La politique relève de la pensée, d’une pensée singulière qui se fonde à partir d’elle-même. Il n’y a pas plus d’écologie politique en particulier qu’il n’y a de sciences politiques en général ou même de philosophie politique. Il y a donc une exigence toute particulière à penser la pensée politique dans sa singularité. Il y a une intellectualité autonome de la politique, qui croise d’autres intellectualités mais ne se confond pas avec elles. D’où l’importance cruciale, par ailleurs, d’une large interlocution entre intellectualité politique et intellectualités générales.

Par ailleurs, au niveau des politiques d’Etat, on se plaint beaucoup, depuis longtemps, de l’inaction des Etats et des gouvernements. Mon hypothèse est que viendra maintenant très vite le temps où on regrettera cette inaction, parce que quelle que soit l’action des Etats, notamment en matière de géo-ingénierie climatique, il y aura probablement plus de quoi s’inquiéter qu’autre chose !

 

C – b : Rapport de la politique à la science :

La façon dont la politique se rapporte à la science, dont elle peut s’y rapporter de façon ajustée, est complexe.

Tout le point est que la politique doit se rapporter politiquement à la science.

Mais qu’est-ce, pour la politique, que se rapporter politiquement à la science ? C’est là une grande question, assez obscure, nulle part véritablement thématisée comme telle aujourd’hui, du moins à ma connaissance.

En tout cas, cela signifie négativement que la politique ne doit pas se rapporter idéologiquement à la science.

Il existe je crois sur ce point une double polarité à l’intérieure de laquelle la politique se fourvoie dangereusement.

La politique se rapporte idéologiquement à la science :

  • Soit lorsqu’elle prétend se rapporter scientifiquement à la science, la politique s’envisageant alors elle-même comme une science comme cela a pu être le cas avec le stalinisme.
  • Soit lorsqu’elle prétend se rapporter politiquement à la science envisagée comme une sorte de continuation de la politique par d’autres moyens, c’est-à-dire lorsque la politique envisage la science comme étant de l’ordre de la politique, comme c’est le cas chez Latour avec sa conception relativiste et pragmatique de la science et son « parlement des choses ».

La politique se rapporte à la science de façon idéologique lorsqu’elle se prend elle-même pour une science ou lorsqu’elle prend la science pour une politique. Autrement dit, lorsque la politique tente de nier, de recouvrir, la discontinuité radicale existant entre science et politique, pensée scientifique et pensée politique, discontinuité de leur figure de rationalité respective.

La politique ne peut donc se rapporter politiquement à la science comme science qu’à la condition sine qua non de commencer par assumer pleinement et clairement la discontinuité entre science et politique.

 

C – c : conclusion et ouverture :

Cela me conduit pour conclure au point suivant : si certains pensent qu’ils doivent faire quelque chose, être à l’initiative sur les questions écologiques, qu’ils le fassent, et qu’ils pensent, qu’ils fassent le bilan de ce qu’ils font. Chacun doit se sentir libre de faire ce dont il est convaincu en conscience qu’il doit faire. La discussion est sur ce point pour moi complètement ouverte, ce qui permet de l’ouvrir étant que la discussion se place sous l’exigence commune de reconnaître l’existence de cet espace idéologique écologiste de ralliement à l’ordre des choses et sous la volonté de se soustraire ensemble à cet espace idéologique dans le but de fonder une radicalité politique nouvelle, même si on ne sait pas encore de quoi sera faite exactement cette radicalité nouvelle. Il y a là comme une immense friche de pensée et d’action qu’il nous revient de commencer à défricher.

Par ailleurs, le réchauffement climatique ouvre une situation nouvelle pour l’humanité, marquée par l’inconnu. Une grande part de l’angoisse actuelle procède de la peur de l’inconnu auquel l’humanité est désormais confrontée. Outre la peur de l’inconnu, la peur d’être confronté à des situations violentes, où notre relatif confort n’est plus durablement assuré. Mais ici il faut remarquer que pour la grande majorité de l’humanité, ce confort n’existe pas, elle vit dans une sorte d’état de crise permanente et pour des raisons diverses qui ne se résument nullement aux catastrophes liées au réchauffement climatique, même si celles-ci prennent de plus en plus de place. Historiquement, de même, l’humanité a été massivement confrontée à la violence de la nature. L’angoisse massivement partagée n’est rien d’autre que la façon dont la violence intrinsèque du réel fait retour dans la vie de populations qui ont été durant quelques générations relativement épargnées et protégées de celle-ci. D’où les fantasmes de fin du monde. Politiquement, dans les prochaines décennies et centaines d’années, cette situation nécessitera de multiples expérimentations au long cours.

Mais il va falloir choisir entre mettre au centre la Terre, c’est-à-dire s’aventurer dans une politique où la question de l’adaptation aux nouvelles donnes écologiques sera ce qui nous oriente collectivement, dans le cadre d’une négation de la disjonction nature/culture, ou bien si on met l’humanité en tant qu’humanité générique, c’est-à-dire non pas l’humanité en tant que telle, mais l’enjeu d’égalité, d’émancipation et de bonheur collectif au centre, à l’aune de quoi seulement pourront être traitées de façon ajustée l’ensemble des problèmes liés à l’environnement.

 

Bilan des discussions :

 

(Interventions importantes en particulier de Judith Balso)

4 points doivent absolument faire l’objet d’une étude approfondie aujourd’hui.

On est au fond très ignorants sur en quel sens une science est une science, ainsi que sur la question du productivisme du côté du capitalisme. Tout cela est recouvert par une pseudo connaissance, l’illusion de vivre dans un monde transparent. Quand on ne connaît pas, on cherche. Quand on croit savoir, on s’assoit. Il faut intervenir comme une sorte de Socrate massif. D’où les deux premiers points.

 

1/ Qu’en est-il de la scientificité des sciences ?

Qu’est-ce qu’une science ? Qu’est-ce qui définit un protocole scientifique ?

Exemple des études randomisées dans lesquelles le critère d’efficacité d’un médicament est purement statistique. La seule question est : est-ce que majoritairement ça a un effet ou pas ? Il n’y a pas de recherche des causes réelles pour lesquelles ça marche ou pas. Ce type de recherche des causes est assez peu fait aujourd’hui. Ce pragmatisme de la recherche ne dominerait pas s’il y avait une identification rigoureuse de ce que c’est qu’une science. Il y a une crise de la définition de la science et de la scientificité des sciences sociales.

On constate avec la longue période de la pandémie, ou avec le Giec, que les recherches sont largement déterminées par ce que les Etats attendent d’elles.

Sur les 3 milliards d’être humains susceptibles d’être confrontés au réchauffement climatique : trouver des détails là-dessus.

La recherche fondamentale en physique relève de dispositifs extrêmement vaste et couteux comme le CERN de Genève.

Les scientifiques n’ont pas la main sur ce qu’ils vont travailler. Il y a une grande limitation de l’indépendance de la recherche. La science est soit liée à l’Etat, soit liée au privé, au nom du fait que « la science a un coût ».

Lors de la pandémie, les décisions étaient prises par les Etats. Or le rapport entre gouvernements d’un côté et OMS, scientifiques de l’autres, n’est pas clair, d’où le scepticisme des gens. En quel sens les énoncés scientifiques sont-ils scientifiques quand ils servent la volonté de l’Etat de traiter un point ? Cela nourrit le complotisme.

Aves Staline, en URSS la science était entièrement commandée par les décisions de l’Etat. Il y a là de grands exemples de grandes erreurs scientifiques à quoi ça a conduit. Il faudrait revenir là-dessus.

Revenir également sur la Révolution culturelle et le productivisme stalinien : livre de Mao critique du stalinisme.

A Fukushima, dans la période qui a suivi la catastrophe, le gouvernement japonais a interdit aux gens de partir. Cela a conduit à des cancers, etc.

Travailler à l’identification des sciences de façon à pouvoir les discriminer des fausses sciences.

 

2/ Concernant les recherches du Giec : le réchauffement climatique est un leurre. Non que ça n’existe pas, mais ce n’est pas par là qu’on peut entrer dans les questions. Pris globalement, le réchauffement climatique ne renvoie qu’à notre impuissance à y faire face. En revanche, on peut entrer dans les questions par la production agricole et industrielle.

Faire un état des lieux complémentaire à la question climatique de la production industrielle et agricole ainsi que de l’extraction minière, construction de barrages etc., qui provoquent d’immenses dégâts sur la nature et les populations environnantes. Un état des lieux des batailles locales qui ont lieu dans ces situations.

En Inde et au Pérou notamment, introduction destructrice de monocultures faisant usage de pesticides après quoi les plantes ne repoussent plus et les populations locales meurent de maladies.

Les batailles menées par les populations sur ces effets tournent court.

Chercher des livres sur ça : sur l’Afrique ( ?), sur l’Inde (Arundhati Roy), sur l’Amérique du Sud (Pérou ( ?))…

Le courage des étudiants qui ont décidé de quitter l’Ecole agricole.

 

3/ Les objets techniques.

Le livre de James Walvin, Histoire du sucre, histoire du monde, montre à quel point le sucre est un poison. Les gens avaient de très bonnes dents avant l’introduction du sucre, qui est devenu la première industrie mondialisée. Avant son introduction, l’humanité n’avait jamais eu besoin de ce sucre, ce qui prouve à quel point c’est l’industrie qui créé le besoin.

Il y a également des textes dans lesquels Pasolini faisait la critique du consumérisme : il y a des objets inutiles, des choses qui détruisent.

Cela ouvre à la question plus générale des objets techniques : la plupart sont répandus sans aucun examen préalable de leur utilité véritable. C’est un point très choquant, car ça signifie que c’est la fonction qui créé l’utilité. Scandale tout particulier du fait que dans l’aviation civile, rien n’a été réfléchi qui soit un équivalent aux avions de chasse en cas d’accident (le pilote peut s’éjecter). On a affaire à de la technique sans filtre, sans principe de filtrage de la technique.

Existence du mouvement « Jetez vos portables ».

En même temps, il faut prendre acte qu’on ne peut pas revenir en arrière sur un certain nombre de points, que l’humanité est transformée par ces incorporations technologiques et plus encore que ça a transformé l’humanité parce que ça pouvait la transformer, et qu’il s’agit d’un présent qui nous est donné. En particulier, un présent qui nous est donné dans lequel les gens n’ont plus aucune idée de ce que c’est que la vie à la campagne, les animaux, etc.

Au fond, cette question de la technique ouvre à une division possible quant à la conception de l’humanité par elle-même qui ne doit pas être envisagée comme une opposition antagonique. Il faudrait que les gens puissent choisir d’accepter ou non l’incorporation des nouveautés techniques, que les deux humanités puissent suivre leur chemin. Concernant celle qui accepte la plus grande transformation d’elle-même par l’incorporation technologique, cela peut représenter une figure de vraie liberté – et non d’aliénation comme c’est aujourd’hui le cas – à la condition que cela relève d’une expérimentations décidée collectivement et conduite de façon maîtrisée, pensée, étudiée.

 

4/ Sur la politique et l’identification de l’antagonisme.

Il faut monter un groupe de travail là-dessus à la rentrée.

L’écologisme, c’est aussi la création d’un nouveau citoyen écologique. C’est la dépolitisation qui joue la politisation.

Concernant la critique de la critique écologiste du productivisme proposée dans ce cours : Marx montre dans Le Capital que ce qui importe pour les capitalistes, c’est l’accumulation, le taux de profit. Cela conduit à des décisions aberrantes, à des éléments de destruction très forts. Les entreprises lâchent des productions rentables si elles pensent faire mieux en investissant ailleurs. On détruit des activités car les critères ne sont pas internes aux activités elles-mêmes. Même la rentabilité n’est pas un critère interne décisif.

Télécharger le texte en pdf :

Articles Similaires